lundi 5 avril 2010

L'interview horloger du jour: Maximilian Büsser (MB&F)

Maximilian Büsser (fondateur de MB&F) est un entrepreneur atypique. Son objectif est de créer les montres dont il rêve avec ses amis et ainsi de repousser les limites créatives de l’horlogerie. Ses Horological Machine illustrent parfaitement sa philosophie et il a eu la gentillesse de prendre le temps de répondre à mes questions.

 
Merci Monsieur Büsser d’accepter cette interview, pouvez-vous nous présenter votre parcours dans le monde de l’horlogerie?
Suis tombé en horlogerie pratiquement par hasard ! Me voyais rentrer dans une multinationale style Procter & Gamble ou Nestlé. Mais durant mes études en microtechnique au Polytechnique de Lausanne, ai eu la chance durant un projet de rencontrer et interviewer quelques directeurs généraux de grandes maisons horlogères (AP, Breguet, JLC). C’était il y a plus de vingt ans et l’horlogerie mécanique commençait tout juste à sortir la tête de l’eau… Ces dirigeants m’ont époustouflé par leur passion et leur farouche volonté de défendre un art pratiquement éteint. Par un concours de circonstances un peu étonnant, me suis vu offrir un job de Product Manager chez JLC par Henri-John Belmont, le DG qui, avec l’aide de Günther Bluemlein, allait ressusciter cette magnifique maison. C’est donc là que j’ai mis le pied à l’étrier en 1991.
En 1998, après 7 années incroyables où j’ai eu la chance de participer au réveil de cette grande Maison, me suis vu, dans des circonstances aussi étonnantes, offrir la direction générale de Harry Winston Timepieces. Harry Winston, le plus grand joaillier du 20ème siècle, avait en effet créé une petite structure horlogère à Genève pour créer et commercialiser leur garde-temps depuis 1989. Ai pris le challenge à bras le corps, et le début fut plus que difficile… Je n’avais que 31 ans, la société horlogère était virtuellement en faillite et la maison mère venait de se retrouver en vente. Un cocktail détonnant et qui m’a valu la pire année de ma vie. Mais avec la petite équipe de 7 personnes, nous avons réussi à stabiliser le bateau, et puis de 2000 à 2005 l’histoire fut magnifique : nous sommes passés de 8 à 80 personnes, de 8 à 80 millions de Sfr, avons intégré une grande partie des métiers, créé les Opus, et vraiment mis HW sur la carte de la belle horlogerie.
Mais étonnamment, plus HW grandissait et moins j’étais heureux. Et pourtant j’avais tout ce que les hommes veulent habituellement (pouvoir, argent, reconnaissance, …). Mais quand mon père est décédé ai réalisé que je ne pouvais pas être fier de créer des produits que je créais. Je ne les créais en effet que pour qu’ils se vendent plus, et qu’ils génèrent plus d’argent. J’avais envie de créer des pièces « improbables » qui me tenaient à cœur et qui n’avaient aucun but commercial. J’avais envie de créer mes sculptures mécaniques même si personne ne les comprendraient. MB&F allait prendre 3 ans de gestation dans ma tête et mi 2005 me suis lancé à l’eau en y investissant toutes mes économies (qui n’étaient de loin pas assez…).
La Montre Harry Winston Opus V Montre Harry Winston Opus V

Votre philosophie créative est atypique dans ce secteur. Est-il encore possible d’innover en matière de montres mécaniques?
Evidemment ! Mais il faut arrêter de vouloir copier les garde-temps à usage pratique de l’ère pré-quartz. Si un mouvement mécanique est aujourd’hui une œuvre d’art mécanique, et non plus un objet pratique, on peut réinterpréter cette œuvre de multiples façons. C’est un peu comme si l’art pictural était resté dans le style réaliste du 17ème siècle. Mais dès l’invention de la photographie, nous avons vu naître les impressionnistes, les modernistes, les contemporains, etc… Et cela semble normal aujourd’hui. Pourquoi pas en horlogerie ?

Mr Henry-John Belmont offrit son premier poste à Maximilian Büsser chez Jaeger-LeCoultre en 1991. Mr Henry-John Belmont Jaeger-LeCoultre

Quel est le portrait de votre client type?Mondial (50% Asie, 30% Europe, 20% Amérique) – 30 à 55 ans – très sûr de lui (ou d’elle) – ne cherchant pas à « frimer » mais bien au contraire se moquant de ce que les gens pensent d’eux. Même si la plupart sont de grands connaisseurs d’horlogerie, ils entrent en MB&F comme dans un courant artistique. Ils s’y retrouvent. Pour certains c’est une rébellion, pour d’autres un art créatif différent.
La Montre MB&F Horological Machine N°3 (HM3) Starcruiser en Or BlancMontre MB&F Horological Machine N°3 (HM3) Starcruiser en Or Blanc
Quelles sont les zones géographiques qui offrent le plus de perspectives pour vos montres d’exceptions?
Vu que nous ne créons PAS POUR nos clients, mais bien pour nous-mêmes, les zones géographiques ne sont pas vraiment une préoccupation. En plus, 95% de notre communication est sur Internet ce qui nous rend mondial que nous le voulions ou pas. Ce qui est important est de toujours produire moins que la demande. C’est le prix à payer pour garder une créativité débordante et dérangeante. Si MB&F devenait une plus grande société, je devrais m’inquiéter de comment plaire aux clients. Une démarche que nous refusons.

Günther Belmont fut l'un des artisans du retour de Jaeger-LeCoultre au premier plan dans les années 90. Une épopée incroyable qui marqua la carrière de Maximilian Büsser.Günther Belmont
Est-il difficile de distribuer ses montres et d’assurer le service après-vente lorsque l’on est une marque indépendante?
Avant 2009 j’aurais dit pas vraiment. Depuis la crise, il est évident que la donne a changé. Les détaillants se sont logiquement reconcentrés sur les grandes marques qui les font vivre. Heureusement pour nous, pas loin de 50% des pièces que nous avons livrées au marché depuis 3 ans sont au poignet de clients qui ont déjà au moins 2 de nos Machines – un taux de fidélité jamais vu ! Et qui nous permet d’avoir passé 2009 non seulement avec une petite croissance mais surtout un sell-out proche de 100%. Small is beautiful…
En ce qui concerne le service après-vente nous avons un niveau de qualité impressionnant qui n’a vu que très peu de pièces revenir – et en général pour des raisons triviales. C’est aussi « l’effet Friends » c'est-à-dire que chacun des artisans, créateurs, horlogers travaillant sur nos créations les utilisent comme leur plateforme de communication. La qualité s’en ressent positivement évidemment.
Pour ce qui est des quelques rares réparations qu’il nous a été donné d’effectuer, nous assurons 6 semaines de délai maximum. Délai tenu chaque fois à ce jour.

Quelle place internet doit-il avoir dans la communication des marques horlogères (NDLR : MB&F possède sa
fan page Facebook qui compte plus de 4 600 fans, une belle performance pour une marque indépendante)?
Sans Internet MB&F n’existerait pas. Notre petite société consacre pas loin de 25% de son chiffre d’affaires à la recherche et le développement (il faut financer à tout moment le développement d e 3 nouveaux moteurs !) et même pas 4% à la communication. Donc à part 8 pages de pub dans le FT How to Spend It par année – pas de pub print, et pourtant plus de 140 Machines sont sorties des détaillants en 2009. Internet c’est aussi un média de transparence – comme notre concept. Cela nous convient très bien. Nous communiquons sans avoir quoique ce soit à cacher.
Internet, comme dans Facebook, c’est aussi une communication à deux sens, et ça c’est extraordinaire ! Pour un petit Labo Créatif comme la nôtre qui n’a pas le moyens d’avoir sa propre boutique, c’est le seul moyen de dialoguer avec les « fans » du Concept. Je consacre beaucoup de temps à notre page Facebook et réponds personnellement à la plupart des requêtes ou commentaires. C’est aussi ça l’esprit MB&F…
La Montre MB&F Horological Machine N°1 (HM1)
Montre MB&F Horological Machine N°1 (HM1)
Peu de marques horlogères vendent en direct sur Internet (
Bell & Ross, Stowa, Sinn sont des exceptions), la désintermédiation de la distribution est elle une opportunité pour les marques?Bien sûr. Mais quand on crée des objets aussi polarisants et surtout aussi loin des références horlogères connues, telles que les nôtres, il faut bien laisser les clients potentiels essayer nos créations à leur poignet avant de passer à l’acte d’achat… Chaque fois que je présente physiquement une nouvelle Machine lors d’un tour du monde, même mes clients les plus fidèles sont surpris du produit réel par rapport à l’image qu’ils s’en étaient faites suite aux photos.
Donc à priori un système de distribution hybride semble pour le moment la meilleure solution.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre prochaine création, la
thunderbolt, qui sera présentée en juillet 2010 ?
Aha ! 3 ans de développement, 309 pièces dans ce Moteur incroyable – pas un composant repris d’un autre calibre. Toute l’équipe MB&F en est très fier. C’est la création qui imposera définitivement la notion de « Machine » et de « Moteur ». C’est aussi pour cela que je n’ai voulu communiquer que sur le Moteur jusqu’au lancement en juillet de la Machine.
En ce qui concerne « Thunderbolt » je vous invite à rentrer ce mot dans Google images et vous découvrirez l’inspiration…

Est-il difficile de développer ce type de mouvement?Bien sûr. Il faut déconstruire un mouvement de haute horlogerie traditionnelle pour le reconstruire en sculpture mécanique tridimensionnelle. N’ayant aucune référence existante sur laquelle s’appuyer, l’équipe de Laurent Besse a du créer leur propre référence… Ils ont fait un travail remarquable.

En dehors des montres sur lesquelles vous avez travaillé, quelle montre aimeriez-vous porter?
Celles des créateurs que j’admire : DeBethune, Urwerk, François-Paul Journe, Kari Voutilainen, Vianney Halter, et j’en oublie… Derrière chacune de leurs créations, il y a un ou des hommes d’exception qui vont jusqu’au bout de leur art et créativité sans se soucier de ce que penseraient les clients.

Comment s’est passé votre salon Baselworld 2010?
La plus reposante de mes 19 Foires de Bale à ce jour… Nous n’avions que 25 HM4 Thunderbolt à prendre en commande, ce qui a été fait assez rapidement… et c’est tout ! Cela ne m’a pas empêché de mener pas loin de 100 présentations en 7 jours mais sans le stress du chiffre d’affaires…

Avez-vous eu un coup de cœur pour une montre présentée lors de Baselworld 2010 ?
Par contre n’ai malheureusement pas eu l’occasion de sortir de mon stand… Parmi les rares pièces que j’aie vu, j’ai beaucoup aimé la Harry Winston Opus X de Jean-François Mojon, la nouvelle Reine de Naples de Breguet, et l’étonnante nouvelle boîte ronde dessinée par mon ami Alain Silberstein – des pièces très différentes l’une de l’autre mais qui m’ont interpellé par leur créativité et bien facture.

Je vous remercie chaleureusement monsieur Büsser d’avoir pris le temps de répondre à mes questions pour les lecteurs de
J’aimes les Montres.

Maximilian Büsser (MB&F)
Maximilian Büsser MB&F

Aucun commentaire: